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Rien ne presse

Rien ne presse
 

Cela fait un an que j’ai perdu mon frère.

Pas perdu comme disparu, mort.

Non, mais perdu comme très compliqué, inexplicable, brutal, inattendu et extrêmement douloureux.

“La fin” a eu une saveur douce-amère. Un jour d’octobre j’ai appris la nouvelle par mon frère lui-même, il a dit, rassurant:

“Ai confiance, ça ira. On se reverra.” ou quelque chose comme ça.

On a pleuré. On s’est serré dans les bras l’un de l’autre une dernière fois. Je lui ai dit que je l’aimais. Il m’a dit qu’il m’aimait.

On a pleuré encore plus, et finalement avec une peine immense, comme une agonie, on s’est séparés.
 

Il y a quelques semaines de ça Lydie, ma thérapeute m’a demandé comment j’allais. D’abord j’ai répondu, comme par réflexe, que j’allais bien.

Et puis j’ai dit: “En fait non, ça ne va pas…”

 

Après ça je n’arrêtais pas de sangloter, de pleurer des larmes grosses comme un pouce, prise de vertiges, du mucus coulant sur mon visage.

Il n’y avait pas de mots pour exprimer ce que je ressentais.

 

Lydie m’a demandé s’il n’y avait pas un lien avec mon frère, ça faisait un an pile-poile ce mois-ci.

J’ai vaguement pensé que ça pouvait mais que c’était derrière moi et que tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, alors…

J’ai pleuré de plus belle. Un épais rideau de pluie qui tombait sans s’arrêter. De la pluie comme on en a jamais vu. Et sous mon crâne une tempête, une avalanche d’émotions qui s’enchaînaient. Et j’étais là, mouillée par mes propres larmes, sanglotante, riant nerveusement, pensant: 

 

“Je peux dire ce que je veux, la peine est bien là. Ce n’est pas moi qui décide…Je ne maîtrise à peu près rien. Ma tête peut bien penser ce qu’elle veut…mon coeur et même tout mon corps, toutes mes cellules savent bien ce que je ressens, même si j’ai l’impression de ne pas le savoir.”
 

Je continue à me lever, à manger, à travailler, à échanger avec mes amis, à sortir, à rire même et puis tout à coup je peux me sentir tellement mal, avoir envie de pleurer des seaux d’eau, être prise de vertiges, d’angoisse.

 

Si on me demande comment je vais, je dirais probablement, pour reprendre l’expression de mon amie Sabine: “ça va arc-en-ciel”.

 

La vie continue. Je me prépare à monter à Paris pour le Doll RDV.  Je me pose beaucoup de questions sur ce que je veux faire. Genre réellement faire. Quelles sont mes envies profondes? Combien de temps est ce que je serais dans la peine? Combien de temps est ce que je ferais mon deuil?

 

J’ai repensé à un texte d’Alexandra Franzen qui disait à peu près ceci:

“Le chagrin, c’est comme donner naissance à un enfant. Tu donnes naissance à une nouvelle vie, ta nouvelle vie. Pour un accouchement, tu ne décides pas: «Le bébé naîtra à 19 heures précises» ou «Mon deuil sera fini dans trois semaines.» Le choix du moment ne t’appartiens pas. Oui, tu peux faire quelque chose pour atténuer un peu l'inconfort - tu peux respirer profondément, essayer de te détendre, méditer, tenir la main de quelqu'un - mais, en fin de compte, le processus prend aussi longtemps que nécessaire. Cela peut être trois heures. Ou trente. Laisses-le faire son travail. "

C'est ce que c’est.
ça se ressent comment ça se ressent.
Il n'y a pas de précipitation et cela prend aussi longtemps que cela prend.

Rien ne presse.

Des amis me demandent: «Comment tu vas?

La vérité?

Un an plus tard, je suis toujours en deuil. Il y a beaucoup plus d’espace entre chaque vague de deuil (des heures de calme entre les vagues au lieu de secondes), mais les vagues viennent toujours.

Un an plus tard, je pense toujours à lui tous les jours, au moins une fois. Je pleure encore. Je ressens encore mille émotions différentes. J'ai encore des questions qui n’auront probablement jamais de réponse.

«Quand on aime fort, On souffre fort», m'a dit un autre ami.

Et j'aimais mon frère et je l’aimerais toujours très, très fort.

Qu’est ce qui m’aide personnellement?

La compréhension des autres, qu’on ne me juge pas si j’ai besoin de temps et que je n’ai pas encore “repris le dessus” et qu’on respecte ma vie privée. A moins d’être au courant inutile de me poser des questions sur ce qui est arrivé. Je ne suis même pas à 0,0001% en mesure d’en parler. Mais ça me fera plaisir d’entendre un petit mot gentil. 

Ce qui m’aide beaucoup aussi c’est qu’on ne me catalogue pas comme “fragile” ou “forte”. Je ne suis ni l’une ni l’autre. Je suis les deux à la fois. ça dépend juste des moments.

Quand on me dit que ce que j’écris est utile et inspirant, que ça aide vraiment, ça aussi, ça m’aide beaucoup. 

Quand on me téléphone ou qu’on m’écrit. Comme tout être humain J’aime beaucoup recevoir des mots gentils que ce soit par chat, par mail ou par sms aussi. 

Juste dire “je pense à toi. Je te souhaite beaucoup de courage.” ou “Je ne sais pas quoi dire, mais je partage ta peine.” 

 

Moi non plus je ne sais pas du tout quoi dire la plupart du temps, quand quelqu’un traverse une épreuve et j’ai peur de faire plus de peine que de bien. Mais “Je suis avec toi de tout coeur” Quand on le pense, c’est souvent suffisant.

 

Qu’est ce qui m’a aide d’autre?

 

Alterner les contractions et les respirations.

être seule. Et être entourée.

Manger équilibré. Et manger des sucreries.

Boire plus. Dormir plus.

Marcher seule dans la nature.

Rire. Et pleurer quand j’en ai besoin.

 

Faire mon travail de deuil. Et avoir des moments de loisirs.

Laisser libre court à mes émotions. Et m’accorder du répit.

Avoir un programme régulier. Et casser les habitudes.

Penser à mon frère. Et penser aux autres.

Qu’on me demande “comment tu vas?” Et qu’on a
vraiment envie de savoir comment je vais.

Recevoir l’écoute de ma famille. Et celle de mes amis.

Faire le point sur mes priorités.Penser à ce qui est vraiment important, à ce que je fais de ma vie.

 

Je cite cet autre texte d'Alexandra:

Si tu souffre de ce genre de perte ou d’une autre, j'aimerais avoir le conseil, la recette ou le plan parfait en sept étapes pour une guérison rapide. Mais ce n’est pas le cas. Tout ce que je peux offrir, c'est ma propre histoire, qui est en cours.
 

Tout ce que je sais, c'est que tu n’es pas seul.

Tout ce que je sais, c'est que tu vas rire plus fort que jamais et pleurer plus fort que jamais, probablement tous ça dans le même après-midi.

Quand tu seras prêt, ton Troeur (cœur + tripes ) te le dira. Tu sauras.

Jusque-là, respire, tiens la main d’un ami, abandonne-toi, laisse les vagues et les contractions traverser ton corps. Ce qui semble être une «perte» peut finalement donner naissance à «plus qu’avant». Cela peut prendre un certain temps. Petits pas par petits pas tu iras de l’avant. Un jour, la glace va fondre. Essaye de bien prendre soin de toi. Tu fais un excellent travail. Tu n’as rien d’autre à faire que de prendre soin de toi. Rien, sauf ça.

Rien ne presse.

. . .


      Chloë ❃  


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PPS: voici le lien vers le blog d'Alexandra Franzen: http://www.alexandrafranzen.com/